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Un disciple avoué de la tradition et des littérateurs

Devenu le maître d’une génération sans l’avoir jamais voulu –mais un maître n’existe que par la foi des épigones–, MD a toujours le scrupule de se reconnaître des maîtres. Une fois encore, il prend tout son monde à contre-pied en plaçant ses travaux sous le signe d’une certaine tradition.
8 Op. cit., p 17

Il oriente ainsi ses recherches vers la perspective dans une époque où les peintres s’efforcent de s’en émanciper toujours davantage. Au contraire, lui s’oblige à se soumettre à son exigeante discipline. Jean Clair y consacre un chapitre entier d’un de ses essais9 9. « Parce que tout le Verre repose sur la perspective traditionnelle, ordinaire ; rien de très curieux ni de très difficile. (…) La perspective m’a aidé à trouver une place pour chacun [des Moules Mâlics]. »1 10 0 Il va même jusqu’à l’anamorphose, cette perspective déviée dans son ultime tableau, Tu m’, pour y reproduire certains des ready-made qui l’environnent alors. Et c’est paradoxalement à partir de ce moment qu’il échappe au conformisme avant-gardiste pour se situer devant les autres, ou mieux, à part de ses contemporains. De même, il se met à produire ses couleurs et à les pétrir à la main lorsqu’il « peint » La Mariée en 1912 à la main, comme Giotto, l’initiateur de l’art occidental, modelait ses fresques six siècles plus tôt en ornant la cappella degli Scrovegni à Padoue. Sans peut-être en avoir conscience, il met quasi fin à sa carrière de peintre par des gestes identiques à ceux qui avaient été à l’origine du mouvement artistique de la civilisation judéo-chrétienne. Troublant pour un fumiste assumé… Il est un autre signe de la lucidité magistrale de MD. Très tôt conscient de la vanité de la prétention à l’inspiration autonome du génie romantique, il reconnaît sans honte aucune les inspirateurs de ses premières toiles, en fait de la plupart d’entre elles… Par exemple, il déclare dans un entretien pour la BBC1 11 1 : « Cela m’a pris dix ans ou un peu plus pour changer de style, au moins pour voir s’il n’y avait rien d’autre que l’impressionnisme –et j’ai essayé de trouver autre chose. D’abord, je suis passé par le fauvisme, puis je suis passé par le cubisme et c’est seulement en 1912 ou 1913 que j’ai plus ou moins trouvé ce que je voulais faire, quelque chose qui ne serait influencé par aucun des mouvements par lesquels j’étais passé. » Puis, il ne fait pas mystère du procédé qu’il emploie pour s’en libérer : loin de revendiquer une autonomisation providentielle par rapport aux influences picturales, il déclare simplement aller chercher son inspiration en puisant dans des sources littéraires. Il substitue donc aux influences que partagent ses collègues d’autres qui sont absentes de leur champ professionnel. Se décentrant ainsi consciemment, méthodiquement, il fait preuve d’une lucidité hors du commun. Il se nourrit ainsi des spéculations de Gaston de Pawlovski publiées sous la forme d’un roman d’anticipation, Voyage dans la quatrième dimension1 12 2. Après avoir assisté à une mémorable représentation théâtrale, vraisemblablement en juin 1912, il décrypte pour son propre usage le procédé de génération de récits imaginé par Raymond Roussel pour ses Impressions d’Afrique1 13 3 : relier deux significations différentes d’un même mot ou de deux mots ou phrases à consonance proche par une succession de péripéties. Il s’amuse de la prétention de Jean-Pierre Brisset, l’inénarrable auteur de La grammaire logique et de Les origines humaines1 14 4, à produire de la connaissance par le calembour. Il dit aussi sa dette à un poète comme Jules Laforgue, alors admiré pour ses associations de mots insolites… Il échappe ainsi à la croyance si répandue chez ses confrères de l’avant-garde de faire du radicalement nouveau, du radicalement différent, de l’inédit absolu et,
9 9 Praxis perspectivae, p. 58 et suivantes, op. cit. 10 Entretien BBC de 1968 déjà cité. 11 Avec Joan Bakewell le 5 juin 1968, The late show line up, BBC television post-production center, Londres. 1 12 2 Edition Denoël, collection Présence du futur, n° 56. 1 13 3 Livre de poche. 1 14 4 Réédités par Marc Décimo en 2004 aux Presses du Réel, Dijon.

Pour les plus vaniteux, de l’indépassable. « L’homme ne peut jamais s’atteindre à partir du scratch : il lui faut partir de ce qui a déjà été fait –de ready-made–, comme l’ont fait sa propre mère et son propre père. »1 15 5 S’il avait eu l’ambition d’y parvenir, il n’aurait pas davantage réussi que ses contemporains. En renonçant à cette illusion, c’est lui qui s’approche le plus du Graal des avant-gardistes. Il exprime très clairement sa façon de faire : « Une méfiance contre la systématisation. Je n’ai jamais pu m’astreindre à accepter les formules établies, à copier ou à être influencé, au point de rappeler une chose vue la veille dans une vitrine. » 1 16 6

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